RÉCIT DE GUIDE : BASTIEN CHAIX & LA REINE DES MONTAGNES CÉLESTE
"Que venons nous chercher ici ? Dans ces paysages blancs balayés par les vents, où les yourtes et les poêles sont les dernières reliques de tout le confort laissé plus bas, derrière les cols. Que cherchons nous dans ces longues vues, balayant du matin au soir les versants rocheux ? Que cherchons nous pour braver l’hiver kirghize qui fige les torrents les plus impétueux ?
Être ici aujourd’hui à chercher celle qui symbolise le mieux la beauté et le mystère de ces montagnes est pour tous un aboutissement, et un sacré challenge. Nous sommes tous ce matin, sur la butte d’observation, unis par le même espoir et les mêmes frissons.
Quelques jours auparavant, les gardes ont vu trois panthères des neiges se nourrir sur une carcasse de bouquetin à deux heures de marche d’ici. La population de panthères est estimée à environ 25-30 individus minimum, sur les 110 00 hectares de la réserve. Étant donné son pelage-camouflage parfait, ses habitudes crépusculaires, et sa tendance à dormir une grande partie de la journée, croiser une de ces créatures relève du hasard le plus total. Seul un balayage systématique du paysage de plusieurs observateurs, répété plusieurs jours d’affilée, laisse quelques chances de l’observer.
La panthère eut-elle pitié de nous, si peu adapté que nous sommes à son environnement ? Où fut-elle flattée que nous ayons organisé sur son territoire le premier séjour sur l’observation de la panthère des neiges au Kirghizstan ? Toujours est-il qu’elle se montra au bout de ma longue-vue, chose tout à fait incroyable et totalement inattendue, après seulement une heure d’observation.
Telle une statue, elle posait assise au sommet d’un rocher, bien détachée sur fond de ciel. La distance était grande mais c’est le souffle coupé et le cœur battant que nous avons pu l’observer pendant presque une heure, escaladant les falaises d’un pas lent et assuré, méprisant la verticalité.
Les jours suivant nous avons observé très probablement la même panthère à deux reprises pendant plus d’une heure, grâce à Jirgal, garde et berger aux yeux d’aigle ne faisant confiance qu’à sa paire de jumelles. Les observations étaient plus proches et ont permis d’admirer le félin traversant des versants enneigés dans toute sa grâce.
Le dernier jour, alors que nous commencions à plier bagage, c’est encore Jirgal qui a détecté une meute de 8 loups se déplaçant en crête prenant en chasse un mouflon des Tian Shan. Il dévalait la pente à toute allure en se rapprochant de nos yourtes. Ce qui lui a sans doute valu la vie sauve, ses poursuivants demeurant méfiants vis-à-vis de ces voisins bipèdes.
De retour vers la civilisation, les yeux emplis de beauté, les poumons gonflés à l’air pur et l’esprit lavé de tout superflu, la question demeure : que cherchons-nous dans ces montagnes que l’on appelle célestes ?"
- Bastien CHAIX, guide des voyages spécialisés sur la panthère des neiges en Kirghizie, au Ladakh, et en Mongolie